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Autrice de chansons et de théâtre 

S’ils m’avaient demandé de marcher sur les mains, je l’aurais fait.

Dernière mise à jour : 5 sept. 2023

Une chambre d’enfant. C’est le milieu de la nuit, il y a des étoiles au plafond.

Une jeune femme tient un bébé dans ses bras et chante pour l’endormir.


« T’es beau, mon gars.

Tu glows, mon gars.

Rayon de lumière in the dark.

Luciole au bout de mon tunnel

Fleur dans gravelle. »

***

Depuis que t’es là, mon sein est un biberon. C’est étrange. Ça fait deux mois, mais on dirait que je m’habitue toujours pas. Avant, la seule fonction que mes seins avaient, c’était d’exciter les gars. Ça finissait toujours mal. J’aime mille fois plus être ta maman. C’est drôle de dire ça, mais pour la première fois de ma vie, c’est stable. On a une routine pis j’aime ça. Astheure, ici, c’est pus un moulin rouge, un entrepôt de stock volé, un repère de fraudeurs de cartes de crédit et de petits hold-uppers. Y a personne qui menace de défoncer la porte, personne qui squate, qui sniffe, qui se pique, qui pope des pils. Y a juste la visite qu’on appelle : matante Sophie, papi Guy, mamie Micheline et Caro la travailleuse sociale que tu trouves donc belle. Juste ça et c’est suffisant. C’est un appartement ordinaire. Une place où on dort, on mange et on écoute la télé. Dans le portique, y a un panier de pantoufles en phentex pis un rack à souliers. Fini, les gars qui gardent leur cap d’acier pour rentrer chez nous. Tout est clean astheure, mais, tsé mon loup, maman est fragile. En dedans, j’ai comme une bibitte, comme des poux ou des punaises qui font dodo. Je fais tout ce qu’y faut pour pas qu’y se réveillent. C’est ça ma job de maman, que tout le monde dorme à poings fermés. La dépendance, c’est épuisant. À un moment donné, t’as l’impression de jamais en venir à bout. Une vie de rechute, ça donne envie de mentir. De faire accroire que t’es correcte, en contrôle. Que t’es pas cette fille-là, qui spine dans un cercle vicieux, qui consomme, qui bad tripe, qui va en thérapie, qui flashe sur des gars louches, qui confond violence et sécurité. C’était dark, avant que tu t’accroches à moi, mais quand j’ai su que tu t’en venais, ça m’a fait comme un blast. J’ai fait un gros ménage. J’ai tassé du monde, j’ai lu des livres, j’ai vu d’autres parents, je me suis bien entourée. Je suis pas restée toute seule. Je me suis préparée, tsé. J’ai jeté toute la cochonnerie qui me restait, j’ai été voir des ressources, je me suis arrangée pour être encadrée au maximum. Je suis même allée dans un programme pour faire de l’introspection sur mon enfance, parce que mes problèmes de consommation, je le savais que ça partait de là. La thérapie que j’ai faite était vraiment frontale. Y me l’ont mis dans face pis je pense que ça m’a aidée. J’aurais aimé ça être capable de le faire avant, mais ça pas été le cas.

J’ai du respect pour mon passé, je l’aime pas nécessairement, mais je le déteste pas. Je suis pas parfaite. Va falloir que tu vives avec ça. Ta maman, le matin, avec son jus d’orange, elle prend de la méthadone. Ça m’aide. Ça pis toutes les thérapies que j’ai faites, ça m’aide. Je comprends mieux, maintenant. Je sais que la bibitte est pas tuable. Elle en moi. Je vis avec. J’essaye pus de me sauver. Je reste là, les yeux grand ouverts, pleine de vérité pis de bonne volonté, mais je suis pas parfaite. Je te mentirai pas. Quand t’étais dans mon ventre, la bibitte est revenue. Elle voulait prendre ta place, mais moi je voulais te garder, y fallait que je te garde. Ça fait que j’en ai parlé. J’ai arrêté de mentir. J’ai eu des rechutes, mais les huit fois, j’en ai parlé. C’était ouvert. Caro pis tous les autres intervenants m’ont jamais jugée. Y m’ont donné une compassion que j’avais jamais été capable de m’offrir, pis ça m’a vraiment aidée à continuer de persévérer, à briser la roue de la consommation. C’est un peu ma famille maintenant. Je suis fière de ça. On va aller les voir toute la gang à Noël. J’ai hâte qu’y te voient. Y en reviendront pas comment t’es beau. Si y a du monde trop spécial à l’organisme, on restera pas longtemps. Juste le temps de dire allô/bonjour. Je te protège vraiment comme une maman lionne, mais depuis que t’es là, j’ai moins envie de sortir. Je suis bien dans notre appartement. Ça sent les toasts, le bubble bath, l’amour et la sécurité. La vie normale. Je m’habitue lentement, j’aime ça.

Au centre de la table du salon, j’ai mis un petit bol de bonbons au caramel. J’arrête pas d’en manger. Depuis que t’es là, mon problème de consommation c’est ça : des problèmes de bonbons au caramel. Ça me calme, le goût du caramel sur ma langue. Ça m’apaise cinq minutes pis j’oublie tout ce qu’y faut que je fasse pour le futur. Toutes les choses normales que j’aurais dû faire dans mon arrivée dans le monde adulte, mais que j’ai skippées parce que j’étais pas prête. Des fois je trouve ça gros retourner à l’école, trouver un métier, avoir une maison, passer mon permis, acheter une auto, travailler, gagner ma vie. On dirait une montagne quand j’y pense tout en même temps, mais je me plains pas. Mon début de vie, y a peut-être été un peu cahoteux, mais c’est pas… c’est juste une histoire et elle est pas terminée. Je suis chanceuse. J’ai 28 ans. Je suis ta maman. J’ai un appartement avec un gros bol de bonbons au caramel sur ma table de salon. C’est pas rien. Ça va bien aller, je pense. En tout cas, j’ai confiance. Plus confiance que j’ai jamais eu. Je fais attention en tabarouette. Je le sais à quel point c’est fragile l’équilibre, mais je suis prête à tout pour te garder ; s’ils m’avaient demandé de marcher sur les mains, je l’aurais fait.


Les étoiles au plafond changent de couleur. Le jour commence à percer la nuit. La mère chante.


« T’es beau, mon gars.

Tu glows, mon gars.

Rayon de lumière in the dark.

Luciole au bout de mon tunnel.

Fleur dans gravelle. »



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